SAUVER
VENISE
il n'est pas trop tard
par Ali Vrloni
L
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.'ITALIE n'est pas seule¬
ment remarquable par les monuments
et les nuvres d'art que lui ont légués
les peuples et les cultures de son
histoire : elle l'est aussi par le soin
qu'elle en prend. Les Pouvoirs publics
et l'initiative privée qui, déjà en temps
ordinaire, rivalisent de vigilance à cet
égard, forcent l'admiration du monde
par la vigueur de leur action, lors¬
qu'une catastrophe frappe des chefs-
d'suvre.
Comme il n'est pas, d'autre part,
dans sa tradition de faire appel à
l'aide d'autrui pour régler ses propres
problèmes, il faut croire que le gou¬
vernement italien a jugé les circons¬
tances véritablement exceptionnelles,
quand, le 4 novembre 1966, ¡I s'est
tourné vers l'Unesco pour mobiliser
la solidarité internationale au service
de Florence et de Venise, victimes
d'inondations sans précédent.
Des concours sont effectivement
venus de toutes les parties du monde
et ont aidé ces villes à surmonter
leurs difficultés immédiates. A Venise,
toutefois, il est apparu que les pro¬
blèmes dépassaient ceux que posent
habituellement la restauration et la
conservation des iuvres d'art, et que
la sauvegarde de cette ville ancienne
appelait un mode de coopération par¬
ticulier. Pourquoi ?
Il serait tentant de répondre sim¬
plement que Venise est unique au
monde, par sa situation d'ilot d'un
autre temps, paradoxalement pré¬
servé, et par la profusion et l'opulence
de ses trésors artistiques. Mais n'en
ALI VRIONI, assistant spécial du directeur
général de l'Unesco, a été, de 1961 à 1965,
directeur du Service des monuments de
Nubie, à l'Unesco, puis directeur des opéra¬
tions au département de la Culture (de
J965 à 1967).
va-t-il pas plus ou moins de même,
en équité, de tout haut lieu de la
culture et serait-il concevable d'établir
entre eux une hiérarchie ?
Aussi bien, n'est-ce pas à ses seuls
mérites esthétiques, ni a un privilège
sentimental que Venise doit, au regard
des autorités nationales et de l'Unes¬
co, sa singularité :
c'est à l'extrême
complexité de son milieu.
E
N effet, le sort du patri¬
moine monumental et artistique de
Venise ne dépend pas seulement de
facteurs physiques, qu'il suffirait de
modifier par des techniques appro¬
priées pour que les
soient
protégées. Il est bien entendu que la
survie de ce patrimoine est menacée
par les tempêtes qui submergent la
ville avec une fréquence accrue ;
par
les courants lagunaires qui érodent ses
assises, lorsqu'ils sont trop rapides, et
compromettent sa salubrité, lorsqu'ils
sont trop lents ;
par l'élévation pro¬
gressive et, en apparence, inexorable
du niveau des mers, combiné à un
enfoncement lent du sol des îles (voir
article page 10); par les micro-orga¬
nismes qui attaquent les pilotis de bois
sur lesquels reposent les fondations ;
par l'humidité et la pollution de l'air
qui rongent les marbres et altèrent
les peintures.
Mais ces" fnaux ne frappent pas une
cité déserte, dans un endroit écarté
de la terre. C'est une communauté
urbaine en pleine évolution, en état
de mutation économique, sociale et
culturelle à maints égards critique, qui
en souffre. Et qui, dans certains cas,
les cause, ou, du moins, les aggrave.
La technique est presque toujours
à la hauteur des difficultés, lorsque
son intervention est réclamée par un
organisme en pleine santé et animé
d'un mouvement d'expansion vigou¬
reux. Ses spécialistes sont tout à fait
capables d'imaginer et de réaliser les
digues, les écluses, les systèmes
d'alertes météorologiques, de régula¬
risation du régime des bouches lagu¬
naires et des canaux, de consolida¬
tion des fondations, de surélèvement
des rues et des locaux, de protection
des édifices et de leurs richesses
artistiques contre les agressions de
l'air et de l'eau dont Venise a un
besoin urgent.
Encore faut-il que la communauté
humaine dont cette ville est l'habitat
s'accorde sur l'avenir qu'elle entend
se donner et ait la vitalité nécessaire
pour rendre de telles entreprises pos¬
sibles.
Or, les analyses socio-démographi¬
ques nous apprennent, pour commen¬
cer, que la population du centre his¬
torique vénitien est en voie de dimi¬
nution constante depuis dix-huit ans.
Pourtant, des usines et des installa¬
tions portuaires ultra-modernes se
sont installées et continuent de se
développer dans la partie de la com¬
mune vénitienne sise en Terre ferme.
Mais cet essor n'entraîne pas, pour
le moment, une reprise économique
du centre historique. Une partie des
Vénitiens estiment même qu'il s'exerce
aux dépens de ce dernier. Et que le
progrès de la nouvelle Venise menace
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UN REVE DE PIERRE ET D'EAU, ainsi
apparaît encore la Ca d'Oro, palais
construit au bord du Grand Canal, la
principale des innombrables voies d'eau
de Venise (3,8 km de long). Chef-d'
d'architecture gothique, ce palais, qui fut
construit dans la première moitié du
15e siècle, aurait eu à l'origine sa façade
peinte en or, selon la tradition, d'où son
nom. Du 12e au 18e siècle, 200 palais
furent construits le long du Grand Canal.
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